L'Attentat, Yasmina Khadra

Publié le par SoSo

    (19h36)  
 
   
 
                   
                      
                                    L ' Attentat confirme mon attachement à cet auteur,
 
 
 
je ne me lasse pas de le lire...
Le sujet est d'actualité et comme pour les Sirènes de Bagdad l'auteur s'interroge sur ce qui pousse un individu à donner sa vie pour une cause. Il ne juge pas mais indique simplement les motivations. Au lecteur, ensuite, de décider (si l'on doit le faire).
Le héros est confronté à la mort de son épouse mais doit également se rendre à l'évidence, elle est l'auteur du massacre. Comment faire son deuil dans ces conditions. Tout au long du roman, ses sentiments sont détaillés. Ainsi, la haine prend le pas sur la tristesse ( Mes larmes ont peut-être noyé mon chagrin, mais la colère est toujours là, telle une tumeur enfouie au tréfonds de moi, ou un monstre abyssal tapi dans les ténèbres de son repaire, guettant le moment propice de remonter à la surface terrifier son monde), vient alors l'incompréhension et le désarroi.  Mon chagrin m'a défoncé sans m'achever. Une mélancolie qui ne quittera Amine.
Cette tragédie se déroule tous les jours et dont il est malheureusement question quotidiennement dans les journaux. Une réalité qui ne nous étonne d'ailleurs plus!
Amine, célèbre chirurgien israélien d'origine arabe a toujours été victime de racisme et ce depuis son plus jeune âge, néanmoins, les railleries ont été le moteur de sa volonté et de son ambition.  Toute ma vie, j'ai tourné opiniâtrement le dos aux diatribes des uns et aux agissements des autres, cramponné à mes ambitions tel un jockey à sa monture. J'ai renoncé à ma tribu, accepté de me séparer de ma mère, consenti concession sur concession pour ne me consacrer qu'à ma carrière de chirurgien. Il lui semblait avoir tout réussi et pourtant ce tout n'était qu'illusion. On aime et on est aimé. On a les moyens de ses rêves. Tout baigne, tout nous bénit... Puis, sans crier gare, le ciel nous tombe dessus. Une fois les quatre fers en l'air, nous nous apercevons que la vie toute la vie - avec ses hauts et ses bas, ses peines et ses joies, ses promesses et ses choux blancs ne tient qu'à un fil aussi inconsistant et imperceptible que celui d'une toile d'araignée. D'un coup, le moindre bruit nous effraie, et on n'a plus envie de croire à quoi que ce soit. Tout ce qu'on veut, c'est fermer les yeux et ne plus penser à rien. Amine est entouré d'êtres dévoués, mais sa peine et sa colère le consumment. Il décide de connaître alors les raisons qui ont poussé sa femme à commettre cet acte ignoble. Sa lettre, ou plutôt les quelques mots laissés par celle-ci semblent insuffisants. Il doit savoir. Il se terre alors, n'acceptant même plus l'aide de ses fidèles amis. Khadra fera ainsi un parrallèle avec son désir de clairté mais sa noirceur le laisse dans la pénombre, ses nuits ont une intensité qui lui est propre. Lors de son séjour dans un hôtel miteux, il passera ses journées à récupérer de ses nuits trop arrosées. Il demeure dans sa sordide peine. La pénombre relative de la pièce atténue mes angoisses. Le lecteur s'interroge. Souhaite-t-il vraiment que tout lui soit révélé? Ne cherche-t-il pas plutôt une raison à sa déchéance, à son envie voire besoin d'en finir? Au fond de moi, je ne suis même pas sûr de vouloir remonter jusqu'à la racine de mon malheur. Il se considère responsable des torts que Sihem a causés, n'ayant pas su déceler le feu qui l'animait réellement. Il souhaite mourir, il se dégoûte, il répugne la vie qu'il mène.
Toutefois, selon lui la Vie prime. Il a voué la sienne à sauver celle des autres, et ce, ne prêtant nullement attention à la religion de ses patients.
Il a délaissé sa famille au détriment de son ambition, mais son enfance le hante. Le texte est parsemé de propos ou conseils que son père ou grand-père tenaient. Ceux-ci sont en extrême opposition avec le point de vue des extrémistes, qui n'hésitent pas une minute à se sacrifier pour leur cause. Celui qui te raconte qu'il existe symphonie plus grande que le souffle qui t'anime te ment. Il en veut à ce que tu as de plus beau  : la chance de profiter de chaque instant de ta vie. Si tu pars du principe que ton pire ennemi est celui-là même qui tente de semer la haine dans ton coeur, tu auras connu la moitié du bonheur. Le reste, tu n'auras qu'à tendre la main pour le cueillir. Et rappelle-toi ceci : il n'y a rien, absolument rien, au-dessus de ta vie ... 
Après maintes recherches, il se résigne à découvrir réellement ce qui a motivé sa compagne à assassiner des enfants et se donner la mort par la même occasion. Il conçoit que les souffrances de son passé sont à l'origine, que sa haine sommeillait probablement. Il comprend alors qu'il ne connaissait d'elle que ce qu'elle voulait bien lui montrer. Il reconnaît qu'il ne voyait que ce qu'il désirait, souhaitant plus que tout que ce mirage soit bel et bien réel. Le fardeau de certaines concessions est plus lourd que le poids des ans. Pour aller jusqu'à se bourrer d'explosifs et de marcher à la mort avec une telle détermination, c'est qu'elle portait en elle une blessure si vilaine et atroce qu'elle avait honte de me la révéler; la seule façon de s'en débarrasser était de se détruire avec, comme un possédé qui se jette du haut d'une falaise pour triompher et de sa fragilité et de son démon.  C'est vrai qu'elle cachait admirablement ses cicatrices - peut-être avait-elle essayé de les maquiller, sans succès; il a suffi d'un simple petit déclic pour réveiller la bête qui sommeillait en elle. A partir de quel moment ce déclic a eu lieu? (...) Sihem l'ignorait elle-même, probablement. Une exaction de plus à la télé, un abus dans la rue, une insulte perdue; un rien déclenche l'irréparable lorsque la haine est en soi. Quant au fardeau d'Amine, il est inexorablement celui d'avoir échoué. Il est celui qu'il voulait ardemment être, mais est-ce qu'il en est comblé pour autant? Il avait la possibilité d'être heureux, mais il n'a prêté attention à son monde qu'à la fin de celui-ci et tout lui échappe désormais. La perte de la maison familiale est l'ultime coup du sort. Cette bâtisse qu'il chérissait tant, celle de ses rêves, de ses plus lointains souvenirs, ceux empreints de gaieté. Ceux qui le rattachaient encore à la vie. Sa destruction, lui sera fatale! Plus rien ne me semblait en mesure de me retenir quelque part, de me réconcilier avec les lendemains. Et quels lendemains?  Y a-t-il une vie après le parjure, une résurrection après l'affront? Je me sentais si peu de chose et tellement ridicule que l'idée de m'attendrir sur mon sort m'aurait achevé sur le coup. (...) Je ne me trouvais pas d'excuse, ne m'en cherchais pas, n'en méritais aucune. Je me livrais en entier au dépit qui me voulait pour lui seul, qui voulait que je l'incarne jusqu'à la racine de mes cheveux, jusqu'au bout de mes ongles.
 
Même lors de sa mort, Amine n' a de cesse de se remémorer les précieux instants de sa jeunesse : son père, le doux rêveur notamment. Ces paroles qui martèlent l'esprit. Celles que l'on aimerait tant suivre mais dont les épreuves successives nous font oublier voire sourire. On peut tout te prendre; tes biens, tes plus belles années, l'ensemble de tes joies, et l'ensemble de tes mérites, jusqu'à ta dernière chemise - il te restera toujours tes rêves pour te réinventer le monde que l'on t'a confisqué. 
                       
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Le Rat de Bibliothèque, Carl Spitzwerg 

Publié dans Lectures

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